EN COULISSE AVEC DUO ÉTRANGE
- operaduroyaume

- il y a 12 heures
- 9 min de lecture

Soprano reconnue pour son travail autant dans le répertoire contemporain que classique, Vanessa Croome est diplômée de l’Université McGill et a été artiste artiste en résidence à la Santa Fe Opera ainsi qu’à l’Opéra de Montréal. Dans Cendrillon, elle incarnera Noémie, l’une des belles-sœurs.
Également diplômée de l’Université McGill, la violoncelliste Sahara von Hattenberger se distingue par sa façon de repousser les limites du jeu moderne au violoncelle, naviguant entre le classique, le jazz et la musique contemporaine. Elle se produit régulièrement avec plusieurs ensembles basés à New York et à Montréal.
Ensemble, elles ont cofondé Duo Étrange en 2023, un ensemble décrit comme redéfinissant la musique de chambre et qui se taille actuellement une place de choix sur la scène musicale québécoise. Nous leur avons posé quelques questions sur leur collaboration et leurs parcours, ainsi que sur le rôle de Vanessa dans Cendrillon.
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Le public trouve parfois la musique contemporaine difficile. Qu’est-ce qui rend la musique que vous choisissez différente, et comment créez-vous une expérience significative pour le public ?
Vanessa : Au début, la musique nouvelle peut sembler étrange, voire désagréable. Mais plus on y est exposé, plus on en apprécie les nuances — c’est vrai pour tout type de musique. Pensez à Bohemian Rhapsody de Queen ou à la Cinquième Symphonie de Beethoven : à leur sortie, le public était perplexe, et aujourd’hui ce sont des classiques.
Nous faisons quelque chose de similaire : nous explorons de nouvelles possibilités musicales dans le canon classique avec des instruments classiques. La combinaison voix–violoncelle surprend et permet d’entendre la musique autrement.
Nous pensons aussi que cette ouverture d’esprit est essentielle aujourd’hui. Notre monde semble avoir de la difficulté à s’écouter et à remettre en question nos perspectives. Nous espérons qu’en aidant les gens à découvrir de nouveaux sons, on les aide aussi à découvrir une nouvelle ouverture envers le monde qui les entoure.
Donc, si quelqu’un venait à votre concert par accident, en s’attendant aux grands classiques, qu’espérez-vous qu’il en retire ?
Sahara : On espère qu’ils réaliseraient que la musique nouvelle n’a pas besoin d’être toujours expérimentale, avant-gardiste ou inaccessible. Elle peut aussi être magnifique, s’appuyer sur la tradition, le savoir-faire et le style d’interprétation, tout en proposant des idées fraîches et nouvelles.

Quel est le processus pour commander de nouvelles œuvres — choisir les compositeur·rice·s et collaborer jusqu’à ce que la pièce soit terminée ?
Sahara : On adore choisir des compositeur·rice·s dont on admire le travail. Si on obtient le financement pour les commander, on attend patiemment un premier jet, puis il y a un peu de va-et-vient pour modifier nos parties en collaboration avec le compositeur. Parfois, les passages sont impossibles à jouer ou pourraient être améliorés. C’est ma partie préférée, car je me sens vraiment impliquée dans la création de l’œuvre.
Vanessa : Chaque compositeur est différent, donc cela dépend vraiment de la pièce et de la personne. Certain·e·s arrivent avec une œuvre complète, d’autres travaillent plus en collaboration. Il y a presque toujours quelques ajustements, et on aime y mettre notre touche personnelle. Nous jouons aussi des pièces existantes que nous avons arrangées pour notre style, comme Kväll d’Anders Hillborg, qui nous a généreusement donné la permission de l’interpréter et de l’arranger.
Nous avons été très chanceuses de travailler avec beaucoup de compositeur·rice·s qui nous ont donné cette liberté. Notre concert à Chicoutimi comprendra la première d'une version française de L'Arbre de Vie de Maya Fridman, que la compositrice nous a autorisés à adapter de l'original, spécialement pour cet événement.
Y a-t-il un compositeur.rice que vous aimeriez secrètement ramener à la vie pour qu’il écrive pour vous — ou peut-être pour lui dire : « tu aurais vraiment pu retravailler ce passage » ?
Sahara : Mon compositeur préféré du passé est Beethoven. Mais je ne suis pas sûre qu’il serait le mieux placé pour écrire pour nous. Je pense que les impressionnistes français comme Debussy et Ravel pourraient composer quelque chose d’incroyable pour notre duo.
Pourquoi avoir programmé Bach au milieu de toute cette musique contemporaine ?
Vanessa : Je vais répondre à celle-là parce que c’est ma pièce préférée que joue Sahara ! Je suis obsédée par elle et par son interprétation. On aime l’ajouter au programme pour donner au public un repère musical familier. Et puis, pour nous, la musique que nous jouons existe dans le même monde que Bach, et nous voulons que le public entre dans ce monde avec nous.

Vous collaborez souvent avec des compositeur·rice·s vivant·e·s, beaucoup venant du Québec et du Canada. Diriez-vous qu’il y a quelque chose de distinctif dans leur langage musical — quelque chose de « québécois » ou « canadien » ?
Sahara : C’est une très bonne question. J’y ai beaucoup réfléchi. Tous les compositeur·rice·s avec qui nous travaillons au Canada se distinguent par leur voix incroyablement indépendante, sans se sentir obligé·e·s de rentrer dans un moule. Je dirais que c’est ce qui les distingue des compositeur·rice·s américain·e·s, qui ressentent peut-être plus de pression pour composer dans un style « américain » très reconnaissable.
Par exemple, on travaille avec Airat Ichmouratov, dont la musique sonne entièrement néo-romantique. Puis avec Jeffrey Fong, dont la musique sonne très française ; on pourrait le croire réincarnation de Ravel. Et ensuite Nicole Lizée, qui vient de nous écrire une nouvelle pièce que nous créerons cette année, connue pour son usage de l’électronique et d’éléments « pop » dans sa musique. Ces trois styles sont très différents, mais coexistent dans l’écosystème canadien/québécois, et pour moi, c’est très canadien, car le Canada valorise la diversité des idées.
Vanessa : Je suis totalement d’accord avec Sahara. Être compositeur·rice au Québec ou au Canada signifie souvent être ouvert·e à de nouveaux concepts et formes. L’idée de notre identité nationale est encore très jeune, et je pense que cela donne à notre musique quelque chose de frais — toujours en quête de nouvelles découvertes !
Vous avez toutes les deux des racines françaises, mais ce n’est pas ça qui vous a amenées à Montréal — comment vous êtes-vous rencontrées ?
Vanessa : Sahara et moi avons toutes les deux des racines françaises et québécoises — ma mère est de Montréal et le père de Sahara vient du sud de la France. On a grandi toutes les deux sur l’Île de Vancouver, mais on a toujours été attirées par Montréal, pour plein de raisons.
Sahara : Vanessa et moi avons une histoire d’amitié prédestinée ! On a grandi près l’une de l’autre et même joué dans le même orchestre communautaire, mais on ne s’était encore jamais rencontrées. À McGill, nos chemins ne se sont toujours pas croisés. Finalement, en cherchant des sopranos pour un concert que j’organisais, je suis tombée sur les enregistrements de Vanessa en ligne et j’ai eu un coup de cœur pour sa voix. Je lui ai envoyé un long courriel un peu fou, et elle a accepté de collaborer avec moi. On a tout de suite accroché et décidé de former un duo !

Comme votre nom l’indique, un duo soprano–violoncelle, c’est plutôt inhabituel. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de collaborer ?
Sahara : Quand on a commencé à jouer ensemble, on pensait souvent qu’il nous fallait d’autres musicien·ne·s. Comme il existait très peu de répertoire juste pour voix et violoncelle, ça ne semblait pas vraiment viable de se présenter comme un duo de musique de chambre à deux seulement. Mais avec l’aide de nos ami·e·s compositeur·trice·s, on a fini par réaliser que créer le répertoire était la solution. On collabore encore, comme Duo Étrange, avec différents musicien·ne·s, mais maintenant notre principal objectif est de nous produire uniquement en duo.
Décririez-vous votre collaboration comme un partenariat égal — est-ce que l’une de vous “mène”, ou vous partagez les responsabilités autrement ?
Vanessa : Absolument, et on partage toujours les responsabilités. Je sens que selon le projet, ça change, mais en général Sahara est vraiment la visionnaire et voit souvent les choses avant moi. Parfois elle doit me convaincre, mais elle a presque toujours raison avec son instinct. J’ai appris à lui faire confiance ! Le premier concert de Duo Étrange a eu lieu parce que Sahara m’a envoyé un courriel pour proposer un concert ensemble, c’était son idée originale de faire voix et violoncelle. On a adoré, et on continue depuis ! En quoi jouer ensemble est différent, par exemple, de collaborer avec un·e pianiste ?
Sahara : Comme instrumentiste à cordes, on est habitué·e·s à accorder notre son avec un piano ou un autre instrument à cordes. Travailler avec une voix a été incroyablement difficile pour moi au début ; je devais m’habituer aux harmoniques pour l’intonation, et faire correspondre le vibrato était un tout autre défi. Mais une fois que je m’y suis habituée, c’est devenu plus intuitif pour moi que n’importe quel autre type de musique que je joue. Les instruments à cordes essaient toujours d’imiter une voix de toute façon, donc ça vient naturellement.
Si vous pouviez échanger vos instruments pour une journée, comment ça se passerait ?
Sahara : On le sait déjà ; Vanessa est en réalité une virtuose du violoncelle. Moi, par contre, chanter… ce n’est vraiment pas mon fort ! On a un morceau au programme où je dois chanter un peu d’harmonie avec Vanessa, et je travaille encore à le rendre exactement comme je le veux.

Vanessa : Sahara a l’âme d’une chanteuse, en fait je pense même plus que moi. Elle est née pour la scène ! Elle peut définitivement chanter, je l’ai entendue. Comme beaucoup de musicien·ne·s à cordes, elle a une intonation fabuleuse, ce qui lui donne une base vocale solide. (Elle ne l’admettra jamais, mais c’est vrai.)
Vanessa, nous te verrons à Saguenay en mars dans le rôle de Noémie…
Vanessa : Oui, absolument ! Je suis tellement ravie de revenir pour cette production ! Plusieurs membres de la distribution sont des ami·e·s de mes années à l’Opéra de Montréal et à McGill. J’ai vraiment hâte de les revoir et de travailler avec eux. On n’a pas toujours la chance de collaborer avec nos amis, donc cette production sera très spéciale pour moi :)
En quoi chanter à l’opéra est différent de travailler dans Duo Étrange ?
Vanessa : C’est différent sur le plan logistique : jouer avec un instrument solo comme le violoncelle est beaucoup plus exigeant musicalement que de chanter avec un orchestre. À l’opéra, il y a un chef pour nous guider ; dans notre répertoire, nous sommes nos propres chefs. Je dois donc connaître la musique par cœur. Cette collaboration m’a énormément appris et a réellement aidé tous mes autres projets de chant.
Mais ce que j’ai réalisé, c’est que ce n’est pas si différent : quand je suis vraiment dans un personnage ou pleinement impliquée dans un spectacle, la musique et l’histoire me portent. Avec notre répertoire de duo, c’est la même chose. Ce projet m’a aidée à « monter d’un cran » dans ma musicalité ; je comprends et chante la musique avec une profondeur que je n’aurais jamais cru possible.

Pourquoi Cendrillon n’est-elle pas autorisée à aller au bal, et qu’est-ce qui pousse Noémie et Dorothée à tant vouloir plaire à leur mère ?
Vanessa : C’est compliqué ! Les dynamiques entre femmes, surtout en famille, peuvent être très complexes : jalousie, tromperie, attentes extérieures et intérieures. Dans l’histoire de Cendrillon, elles sont vues comme les méchantes, et je ne dis pas qu’elles ne le sont pas. Mais souvent, quand on agit par malveillance, c’est parce qu’on a été maltraité·e par quelqu’un d’autre. Je pense aussi que Dorothée et Noémie subissent beaucoup de pression de leur mère pour être ce qu’elle estime n’avoir jamais été : la plus jolie fille, celle que les garçons poursuivent, celle qui a la fin heureuse.
Cette pression les pousse à agir cruellement envers Cendrillon par instinct de survie et auto-préservation. Ou peut-être… sont-elles juste mauvaises ! Mais j’aime penser que la plupart des gens naissent bons, et c’est la vie qui les façonne. Malheureusement pour Noémie et Dorothée, elles ont un très mauvais exemple dans leur mère. Il faut se rappeler qu’elles sont encore des enfants et qu’elles agissent comme on leur a appris que c’était approprié.
Quelle est la pire chose qui vous soit arrivée en performance ?
Sahara : J’ai eu plein de cordes qui ont cassé et beaucoup de performances ratées, surtout à l’université — il faut passer par ça pour apprendre. Une fois, au Japon, j’ai joué devant un onsen, un bain thermal. C’était en plein air, idyllique, avec vue sur un immense lac à Hokkaido. Mais l’humidité des sources chaudes a rendu les crins de mon archet trop glissants : quand je faisais glisser mon archet sur les cordes, aucun son ne sortait. Je n’avais jamais rencontré ça auparavant. J’étais horrifiée.

Vanessa : Une fois, la bretelle d’une combinaison m’a complètement lâchée pendant une audition à New York pour le tour de rappel d’un célèbre concours vocal allemand… il y a eu un petit spectacle, et le jury n’a ni ri ni dit quoi que ce soit — je crois qu’ils étaient offensés. Ha ! Moi, j’ai trouvé ça très drôle. Je n’ai pas passé le tour.
J’aurais dû me débarrasser de cette combinaison, parce qu’elle m’a refait le même coup environ dix minutes avant une classe de maître avec Yannick Nézet-Séguin à l’Opéra de Montréal, mais heureusement, on avait une aiguille et du fil pour la réparer à la dernière minute. J’adorais cette combinaison parce qu’elle me donnait l’impression d’être rebelle en portant des pantalons (horreur !) en tant que soprano! Finalement, c’était elle la plus rebelle!
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POUR EN SAVOIR PLUS ET ACHETER DES BILLETS
Pour plus d’informations sur l’opéra, rendez-vous sur le site Web à operaduroyaume.com.
Les prix des billets sont les suivants :
30 $ (taxes et frais inclus) pour les billets adultes
20 $ pour les étudiants
Vous pouvez vous procurer des billets :
par Internet à reservatech.net
par téléphone au 418-545-3330
en personne dans le point de vente de la région. (Jean Coutu du boul. Talbot, Tabagie Nelson, Bibliothèque d’Alma, Familiprix de Roberval.)


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